Une fête des mères amère
Cet article touche à une douleur qui est encore vive en moi et dont je me suis enfin décidée, après des décennies de déni, à lâcher prise. Il ne s’agit pas pour moi de dénigrer qui que soit mais de me libérer d’un fardeau qui m’a beaucoup abîmée au fil des années.
Fête des mères : un bilan des travers de la femme « Potomitan »
Je suis la fille aînée d’une femme « Potomitan »: vous savez ces figures maternelles fortes et courageuses, figures centrales du foyer antillais, nées d’une nécessité extrême de survie quand tout était arraché, même l’Humanité. Dans cette vie, je me suis souvent sentie hors de propos, pas à ma place, hors sujet. J’ai toujours été, derrière mon sourire solaire (comme celui de mon fils), très mélancolique, hypersensible et hyper-empathique. J’ai commencé à l’âge de 7 ans à me poser beaucoup de questions sur cette existence, sur le Visible et l’Invisible, et sur le sens de nos modes de vie modernes et consuméristes en regard de nos missions de Vie spirituelles, et à l’âge de 12 ans, je lisais Freud (pas forcément le meilleur choix), et commençait à nourrir un intérêt pour la Philosophie. J’ai prié, médité, observé, lu (beaucoup), partagé, exploré, chanté, joué, écrit, composé, pour mieux me comprendre et mieux appréhender mes émotions mais surtout cette peur qui m’a paralysée pendant des années et qui me paralyse, malgré moi, à chaque instabilité. J’ai été en thérapie dans cette volonté de développement personnel, et j’ai toujours fermé ma porte au développement quand il s’agissait de parler et de décortiquer ma relation avec ma mère. Pourquoi ? Sûrement parce que c’était trop difficile d’avouer que c’est là que se trouve le nœud du (de mes) problème(s).
La naissance de mon petit garçon, et plus encore les choix que je dois faire pour son éducation équilibrée et sa vie harmonieuse m’ont fait réaliser à quel point ma relation avec ma mère n’était pas saine, et à quel point cette Fête des Mères cristallisait pour moi des expériences émotionnelles douloureuses, et une perception négative de celle qui m’a mise au monde, et qui a sûrement fait ce qu’elle a pu, avec ce qu’elle avait et c’est, peut-être déjà, beaucoup.
Fête des mères : une mère insatisfaite chronique
Mes premiers souvenirs de célébration de ma « manman » sont des souvenirs de déception face à un être qui n’a jamais accepté un cadeau sans faire une mou de mécontentement voire de dégoût. Dès que j’ai pu, assez jeune, articuler mon ressenti par rapport à elle, ma conclusion était que ma mère souffrait « d’insatisfaction chronique »: rien n’était jamais assez bien pour elle. La seule chose qui la touchait était l’illusion des jeux d’argent: une pochette de jeux à gratter et son bonheur était entier. Malheureusement, cette insatisfaction chronique, immortalisée dans le « sa tou sèl », ne se limitait pas à la remise de cadeaux à la fête des mères mais s’étendait dans tous les aspects de nos vies….
Rien de ce que je faisais n’était jamais assez bien pour elle dans le secret de la cellule familiale, et j’ai su très tôt que j’étais un poids (lourd) pour elle. Mais j’avais des talents: tout comme elle, j’étais intelligente, j’avais de « beaux et longs cheveux » ce qui pour les Antillais et toute la diaspora afro était un sain Graal dans les années 80, j’avais une « jolie » peau prune et un physique métissé afro-asiatique qui me faisait souvent arrêter dans la rue, petite. Pour sa plus grande satisfaction: « j’étais noire mais j’étais belle » (ma mère était très claire de peau quand elle était jeune). Une aliénation que beaucoup d’Antillais à la peau foncée comme moi, et d’Afro-descendants dans le monde entier ont subi et subissent au sein même de leur famille (Ah ce fameux colorisme!). Mais par dessus tout, j’étais douée pour la Musique et pour le Chant. Et ça c’était merveilleux pour elle puisque je n’étais qu’une extension d’elle-même : elle pouvait briller, et se faire mousser par procuration, et toucher à un statut élitiste.
Fête des mères : un lieu où l’on revit certains traumas
Je n’ai jamais connu l’Amour inconditionnel de ma mère mais toujours une version conditionnée à mes performances ou à ce que je ferais pour elle. Et je me rends compte aujourd’hui, après 30 ans de « Soul searching » que j’ai toujours essayé de satisfaire son ego, tout en sachant que je n’y arriverai jamais, et en me mettant une pression monstre qui me vouait souvent à l’échec. Alors lorsque la fête des mères se présentait (comme Noël d’ailleurs) beaucoup de Colère remontait en moi, une envie de pleurer que je ne m’expliquais pas. J’ai fini par abandonner, et lui offrir quasiment à chaque fête, une pochette loto (et parfois des fleurs).
Aujourd’hui, après avoir nourri l’illusion que les choses avaient changé, après avoir habité un an et demi avec elle, après avoir re-vécu des traumas enfouis depuis 20 ans (et ça, j’en parlerai dans un autre article), et avoir acquis de nouvelles douleurs, cette fête des mères à un goût doux (pour mon fils) et « (à)mèr(e) ». Je fais le deuil définitif d’une relation avortée à la Génèse, qui ne sera jamais positive ou épanouissante pour moi, et j’accueille, au creux de mon sein, un petit être de Lumière à qui je ne veux jamais faire vivre ce que j’ai pu vivre, et pour lequel je travaille à devenir la meilleure version de moi-même chaque jour que Dieu fait. Je rends grâce à ma Mère de m’avoir donné Vie et je me remercie d’avoir tenu bon toutes ces années à travers les affres de cette Existence.
A lire pour aller plus loin dans la réflexion
https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/culture/la-relation-merefille-un-theme-qui-derangeet-qui-intrigue-415434.php – relation mère-fille dans la culture antillaise
https://journals.openedition.org/lhomme/24691 – La matrifocalité dans les sociétés caribéennes